Autrefois repaire de pirates, l'équatorienne île de la Plata
reste un refuge pour les albatros et les fous, tandis que les
baleines viennent se reproduire alentour.
UNE TÊTE D'ÉPINGLE dans l'océan Pacifique, qui
aurait pu inspirer des romans d'aventures du XIXe siècle, avec des
pirates à crochet et des monstres marins. L'île de la Plata reste
pourtant noyée dans l'ombre des incomparables Galápagos. Sa faune
n'est en effet pas comparable à celle de l'archipel où Charles
Darwin élabora sa théorie de l'évolution. Mais elle offre un
spectacle rarissime. Des baleines à bosse viennent s'y reproduire,
de juin à octobre. Nous sommes en Equateur, que ceinturent la
Colombie, le Pérou et l'océan Pacifique, que déchirent les volcans
andins, à l'est desquels l'Amazonie s'étend jusqu'à l'Atlantique.
4000 km d'une selve qui concentre tout ce que la nature sait
élaborer de délires, l'être humain quasiment mis à part.
Vaisseau fantôme
Le pays est un nid de superlatifs pour naturalistes. Le parc
national de Machalilla, sur la côte, regorge d'espèces d'oiseaux
indigènes. Il englobe l'île de la Plata, à quarante kilomètres au
large des villages de Puerto Cayo et de Puerto Lopez. On embarque
au matin sur un canot bimoteur. A cette heure, barques et
chalutiers déchargent les prises d'une nuit retirées des
profondeurs. Le ciel bas écrase les falaises, dans l'anse où se
niche Puerto Lopez, en bordure d'une plage de sable de deux
kilomètres. A peine est-on sorti de cette crique, la côte n'est plus
qu'une suggestion dans le brouillard.
Le guide se tient à la proue
de l'embarcation, relevée comme un toboggan. Jambes écartées,
calées, il scrute. Les crêtes des vagues se prêtent à un jeu
d'illusions. On croit apercevoir la queue d'un cétacé, un geyser
dans l'écume trompeuse.
Le guide tend le bras en criant. Un souffle
concentré vient, le premier, de signaler la présence d'un cétacé.
Le bateau vire de bord. Une immense queue blanc-gris bat l'eau, à
quelques centaines de mètres. Un second souffle. Le bateau, moteurs
à l'arrêt, se laisse ballotter. Plus rien. On repart au ralenti, le
regard fixé sur l'horizon.
L'île de la Plata, droit devant, perd
peu à peu son aspect de vaisseau fantôme. Moins de cinq minutes
plus tard, nous repérons un couple. Un petit nage dans les parages.
Les geysers, les queues entr'aperçues laissent deviner la puissance
des corps. C'est soudain le grand spectacle. Loin à tribord, une
baleine s'arrache de l'eau, se propulse nageoires écartées,
tergiverse un instant, comme en suspension au point culminant de
son saut, au-dessus de la ligne des eaux. Enorme, démesurée, elle
retombe en fracassant les vagues dans un paravent d'écume.
Canons pirates
La population des baleines à bosse remonte depuis que leur
chasse est interdite, explique le guide. On repère au loin qui une
masse trop grosse pour être une vague, qui un remous tranché sur
l'écume. Les baleines ne s'extirpent souvent qu'au tiers de leur
corps. Le bateau reste à distance, par sécurité. Il est déjà arrivé
qu'une baleine frôle une embarcation ou la tape en se glissant en
dessous.
Cap sur « la isla de la Plata » (l'île de l'argent, en
espagnol). Selon les marins locaux, elle tire son nom du guano, les
défécations d'oiseaux. S'accumulant décennies après décennies sur
les falaises, il a créé des plaques blanchâtres dont les reflets
argentés ondulent sur la mer les nuits de pleine lune.
On croit apercevoir la queue d'un cétacé, un geyser dans
l'écume trompeuse.
La légende est autre. L'endroit fut d'abord baptisé « île aux
trésors». Il a longtemps servi de refuge aux pirates qui y
cachaient leurs butins. Car au large de l'actuelle Equateur passaient
les chargements en provenance des mines d'argent péruviennes. Potosi
(aujourd'hui en Bolivie) fut le plus important gisement des
Amériques, au profit de la royauté espagnole, quand ses navires ne
tombaient pas sous les canonnades des pirates. Le plus célèbre de
ces redoutés navigateurs fut Sir Francis Drake, corsaire au service
de la reine Elizabeth Ire d'Angleterre, au XVIe siècle.
Mais,
depuis cette époque, personne n'a réussi à dénicher les
fantasmatiques magots que les quelques kilomètres carrés de l'île
sont censés abriter. Il a tout de même fallu interdire d'y creuser,
pour la préserver des fouilleurs.
Boule cotonneuse
Les trésors sont pour les ornithologues. L'île, aujourd'hui
inhabitée, abrite fous, albatros ou encore frégates. Au début du
siècle, un riche propriétaire l'avait achetée pour cinq sucres (la
monnaie locale), un quignon de pain. Il y fit construire une courte
piste d'atterrissage. Le bruit des avions repoussa les oiseaux aux
pointes de l'île, où ils sont restés depuis. On se rend donc sur
les hauteurs pour les approcher.
Après une demi-heure de sentier,
on rencontre les fous à pattes bleues entre deux buissons. Bleu
clair pour madame, foncé pour monsieur, le plus petit du couple.
Existe également en version à pattes rouges. Les femelles pondent
deux œufs. A mesure que les petits grandissent, l'un s'étoffe
plus, mange plus, reçoit plus de nourriture que son jumeau, qui en
meurt.
Au bout de la pointe « Machete » nidifient les albatros.
Leur petit est une boule cotonneuse d'où seul émerge le bec. Il
vivra là quatorze à seize ans, jusqu'à ce que l'iode l'aveugle. Il
se prendra alors dans les branches des arbustes ou viendra taper
contre la falaise et s'y brisera les ailes.
En contrebas de la
pointe, des loups de mer se prélassent sur une petite plage, sous
le tournoiement continuel des oiseaux. Au large de l'île, on
aperçoit un groupe de plusieurs dizaines de dauphins en chasse. A
l'abri du ressac, c'est techno-parade. Des myriades de poissons
multicolores s'exhibent juste sous la surface. Masque et tuba
suffisent pour les observer. A quelques centaines de mètres de là,
jusqu'à la fin d'après-midi, les baleines poursuivent leur
ballet.
Tandis qu'au large, les baleines à bosses se livrent à un ballet
ponctué d'impressionnants geysers, sur les roches de l'archipel,
les fous de Bassan à pattes bleues veillent.
FAB. M.
Cette boule cotonneuse au gros bec est un petit fou masqué qui
niche au bout de la pointe « Machete »