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DRIVE-BY TRUCKERS - Brighter Than Creation's Dark - 2008

Jusqu’à il y a peu, je tenais A Blessing and a Curse, le précédent album de Drive-By Truckers, pour un très bon disque, avec un morceau titre superbe, dans le genre rock (avant tout !)-folk-sudiste-americana-alternative country (le groupe se classant lui-même d’après sa page MySpace dans le rock-indie-southern rock). J’ai radicalement changé d’avis après la découverte de Brighter Than Creation’s Dark, le nouveau disque du groupe d’Athens (comme REM, avec qui la parenté est parfois autant géographique que musicale), un brûlot émotionnel et d’une diversité rare. Dix-neuf titres (indiqués comme étant répartis sur… quatre faces, y compris sur le CD !), dont peut-être un tiers touchent au chef-d’œuvre et vous tordent tripes, et vous y font des nœuds, et cela fait maintenant deux mois que je tente de les défaire sans y parvenir.

Les cousinages musicaux sont nombreux tout au long de l’album : REM donc, Rolling Stones (si Philippe Manœuvre tombe sur ce disque, il va faire une couv’ de Rock & Folk clamant que les Stones viennent de publier leur meilleur album depuis le prochain…) ou Neil Young énervé, et tous pétant la forme. Sur le plan vocal, il se dégage comme une ample respiration de l’alternance entre Patterson Hood, Mike Cooley (qui sonne parfois comme un Mick Jagger "rural") et Shonna Tucker, la bassiste dont le timbre rappelle souvent l’étrange et envoûtante mélange de fragilité mise à nu et de douce folie d’une Cyndi Lauper.

La force principale de Drive-By Truckers est de posséder trois chanteurs (dont une chanteuse), officiant parfois en duo, et autant de compositeurs aux registres complémentaires. Variété mais homogénéité, qui permet au groupe d’aborder une palette très large sans se perdre en route ni générer de lassitude sur la longueur. L’instrumentation est tout aussi riche : guitare acoustique comme électrique, slide, lap steel et pedal steel, banjo, piano, Wurlitzer et Hammond B-3…

Et puis, il y a cette qualité d’écriture franchement renversante. Admettons une légère baisse de régime en toute fin d’album sur trois ou quatre titres assez classiques, loin d’être mauvais, mais qui ne font pas avancer le schmilblick. A part cela, la musique et les paroles se gravent en vous comme le nom des morts au burin sur la tombe. Et il vaut mieux renoncer à comptabiliser les solos ─ courts ou longs, acoustiques ou électriques ─ à brûler des cierges à l’inventeur de la caisse en bois (pas celle en sapin, l’autre…).

Le titre de l’album, Brighter Than Creation’s Dark ("Plus lumineux que l’obscurité de la création") répond à A Blessing and a Curse (grosso modo, "un bonheur et un fléau" et aussi "une bénédiction et une malédiction") et renvoie sans doute plus à la création artistique et aux paradoxes de la vie qu’à la religion. Son ambivalence se retrouve parfaitement dans la musique, qui semble par moments issue de ce Sud sublimé par la littérature et le cinéma, forcément mystérieux, dérangé, confiné, de façon quasi mythologique, tandis que certains titres ressemblent aussi aux nouvelles qu’affectionnent les écrivains du Montana, sorte d’introspection bienveillante d’un milieu essentiellement rural, non exempt de violence et déphasé par rapport au monde moderne tout de vitesse, d’individualisme et d’argent. Drive-By Truckers préfère le petit bout de la lorgnette, l’humain, aux grandes considérations.

Drive by truckers - live

L’album débute avec un morceau tout simplement extraordinaire de délicatesse et d’émotion, Two Daughters and a Beautiful Wife. Un titre d’une grande pureté, où le banjo apporte une étrange légèreté, "écrit pour essayer de trouver une forme de paix face à une tragédie qui dépasse les mots et qui a touché beaucoup de gens que je connais et que j’aime", explique Patterson Hood. Il dépeint l’arrivée devant le Paradis d’un homme qui, au lieu de se réjouir, se demande ce qu’il fait là, laissant tout ceux qu’il aime en bas.

3 Dimes Down, dû à Mike Cooley, vire illico rock stonien tout en os. L’incantatoire The Righteous Path, écrit en fin des sessions du disque et enregistré en une seule prise, évoque la vie tiraillée d’un type qui tente de garder la tête hors de l’eau :
"I got a brand new car that drinks a bunch of gas / I got a house in a neighborhood that’s fading fast / I got a dog and a cat that don’t fight too much / I got a few hundred channels to keep me in touch / I got a beautiful wife and three tow-headed kids / I got a couple of big secrets I’d kill to keep hid / I don’t know God but I fear his wrath / I’m trying to keep focused on the righteous path" (J’ai une voiture toute neuve qui consomme un paquet d’essence / J’ai une maison dans un voisinage décrépit à l’avance / J’ai un chien et un chat qui ne se battent pas trop souvent / J’ai quelques centaines de chaînes de télé pour me tenir au courant / J’ai une superbe épouse et trois enfants blonds / J’ai une poignée de secrets et je tuerais plutôt que de les dire pour de bon / Je ne connais pas Dieu mais c’est sa colère que je crains / J’essaie de me concentrer sur le droit chemin).

Shonna Tucker prend le relais sur I’m Sorry Huston qui, sans tomber dans la caricature country-folk, s’élève grâce à sa voix vers la compassion et l’émotion. Egalement country-folkisant, Perfect Time est toutefois totalement différent du titre précédent, avec un petit côté Neil Young et Dire Straits (aïe, pas sur la tête !).

Suit Daddy Needs a Drink, un morceau que je trouve sublime, comme éclairé d’une lumière sombre et bourré de générosité et de compréhension pour un personnage aussi tragique que commun. Un grand frisson. Mike Cooley revient à des accents Rolling Stones et Neil Young sur Self Destructive Zones, qui reprend les chemins d’un rock plus classique avant une autre de ses compositions, Bob, l’un des sommets de ce Brighter Than Creation’s Dark qui est pourtant bourré de très grands moments. Tout en douceur, le portrait ciselé d’un homme solitaire, en marge ─ que chacun de nous connaît, remarque Patterson Hood dans son commentaire du disque ─, transcendé par des paroles à chialer.

Home Field Advantage, écrit et mené par Shonna Tucker, démarre tout doucement, comme si le groupe s’accordait, puis donne un coup d’accélérateur un rien REM avant de se terminer sur un petit bruitisme de bon aloi. The Opening Act me suggère une question : pourquoi les groupes écrivent-ils des chansons sur le fait de jouer en première partie au stade de leur carrière où ils ne font plus de première partie. Mmmmm ? Patterson Hood fournit la réponse : il a commencé à écrire ce titre des années plus tôt, au dos de la setlist de la tête d’affiche, dans le "bar merdique" au cow-boy de pacotille que décrit la chanson. Lisa’s Birthday, toujours dixit Hood et bien que ce morceau soit signé de Cooley, "sounds like pure Country Gold circa 1967".

The Man I Shot, pour le coup, sonne totalement REM, un REM énervé qui semblerait s’acharner vers après vers à expliquer l’inexplicable ─ en l’occurrence, un homme qui a tué parce que, soldat en guerre dans un pays qui n’était pas le sien (on ne peut que penser à l’Irak), c’était lui ou l’autre, et qui reste hanté par cette image :
"The man I shot, he was trying to kill me / Sometimes I wonder if I should be there / I hold my little ones until he disappears" (L’homme que j’ai abattu, il voulait me tuer / Parfois je me demande si je devrais être encore là / J’étreins mes enfants jusqu’à ce qu’il disparaisse).
Shonna Tucker vient parfois doubler le refrain et, sur sa première intervention, elle prend une voix légèrement cassée qui, en quelques dixièmes de secondes, fait d’une chanson à l’étreinte douloureuse un moment poignant.

drive by truckers bandJouant une nouvelle fois des contrastes qui bâtissent et donnent son sens au disque, The Purgatory Line est d’une pureté incroyable. La voix de Shonna Tucker, bouleversante, sonnant ici comme jamais à la façon de Cyndi Lauper, avec un accompagnement très léger, évoque la solitude et l’attente dans l’amour.

Nous en sommes à treize titres qui, tous, sont au minimum très bons. Je passe donc rapidement sur les deux suivants, qui me touchent moins d’un point de vue musical. The Home Front aborde aussi la guerre mais celle de ceux restés à la maison ; encore une fois, les paroles disent le juste nécessaire pour émouvoir sans racoler, avec un sentiment de grande justesse. Pour l’anecdote, c’est un vers de Check Out Time in Vegas qui donne son titre à l’album.

La grosse boule dans la gorge fait son retour sur You and your Crystal Meth, une chanson lancinante voix-piano sur la perte d’un ami noyé dans la drogue. Ce titre avait été écarté de l’album précédent, A Blessing and a Curse, mais n’a pas été réenregistré. Goode’s Field Road présente un Drive-By Truckers assez habituel et je serais tenté de dire la même chose de A Ghost to Most si Patterson Hood n’affirmait être convaincu qu’il s’agit du meilleur titre écrit par Cooley ! L’album se clôt sur The Monument Valley, un hommage au cinéaste John Ford, de façon presque apaisée et un brin nostalgique.

Ainsi, à part cette fin d’album un quart de ton en dessous des deux premiers tiers, et qui me fait penser qu’avec quatre ou cinq titres en moins Brighter than Creation’s Dark serait considéré comme un disque historique, on tient tout de même là une œuvre profonde, terriblement accrocheuse, intelligente et remuante. Dès la première écoute, j’ai senti que cet album me touchait de façon inhabituelle, alors même que je ne m’intéresse que très rarement, voire pas du tout, au genre de musique qui y est développé. Résultat, je crois n’avoir jamais autant écouté un disque aussi souvent en aussi peu de temps, qui plus est en y trouvant chaque fois matière à une véritable émotion et, aussi sur certains morceaux, à taper franchement du pied. Mon meilleur disque de ces deux dernières années… pour rester prudent.

4,9999999 poins/5

PS : "Not only is this our finest album, but it sounds better on vinyl by an even bigger margin than any of the others. It was written, learned, played, mixed and mastered for vinyl." Traduction : "Ceci est non seulement notre plus bel album, mais il sonne mieux en vinyle, et de très loin, que tous les précédents. Il a été écrit, répété, joué, mixé et masterisé pour le vinyle." J’avoue humblement n’avoir que la version CD…

 

Site officiel Drive-By Truckers  MySpace Drive-By Truckers

Deux autres chroniques de Brighter Than Creation's Dark sur Voxpopmag et Etat critique

Plus de trois cents (oui, oui, 300…) concerts de Drive-By Truckers sont disponibles en téléchargement légal et gratuit sur le site Internet Archives. Les shows les plus récents incluent des titres de Brighter Than Creation’s Dark mais le son me semble meilleur sur les prestations de 2007. A noter que la set-list est totalement remaniée d’un soir à l’autre.

Tracklisting de Brighter Than Creation Dark :
Face 1 : 1 "Two Daughters and a Beautiful Wife" (Hood)  - 2 "Three Dimes Down" (Cooley) - 3 "The Righteous Path" (Hood)  - 4 "I'm Sorry Huston" (Tucker) - 5 "Perfect Timing" (Cooley)
Face 2 : 6 "Daddy Needs a Drink" (Hood) - 7 "Self Destructive Zones" (Cooley) - 8 "Bob" (Cooley) - 9 "Home Field Advantage" (Tucker) - 10 "Opening Act" (Hood)
Face 3 : 11 "Lisa's Birthday" (Cooley) - 12 "The Man I Shot" (Hood)  - 13 "Purgatory Line" (Tucker)  - 14 "The Home Front" (Hood) - 15 "Check Out Time In Vegas" (Cooley)
Face 4 : 16 "You and Your Crystal Meth" (Hood)  - 17 "Goode's Field Road" (Hood)  - 18 "A Ghost To Most" (Cooley) - 19 "Monument Valley" (Hood)

Le groupe : Mike Cooley (guitare et chant), Patterson Hood (guitare et chant), John Neff (guitare et chant), Brad Morgan (batterie), Shonna Tucker (basse et chant), Spooner Oldham (claviers, chant).

 

Toutes les paroles de Brighter Than Creation’s Dark sont disponibles ici et une "explication" titre à titre de l’album par Patterson Hood ici.

 

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Mis à jour ( Lundi, 08 Juin 2009 11:11 )  

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