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        " Les 
        choses ont commencé à se gâter avec vous " 
          
        
        
        
            
        
        BERTHIER 
        
        
        
        Vous nous 
        suiviez, Martha et moi.  
        
         
        
        
            
        DUBOIS, 
        s'arrête, narquois. 
        
         
        Ai-je bien entendu? Son Altesse a daigné m'adresser la 
        parole ? (Obséquieux). A moi, son humble vassal? 
   Agacé par l'ironie de Dubois, Berthier frappe de nouveau le sol 
        avec sa canne. 
        
         
    Dubois recommence à marcher. 
        Je vous suivais, oui. Mais pas vous. Oh non, pas vous. Vous ne 
        m'intéressiez pas assez. Ou croyez-vous, par hasard, que vous 
        m'intéressiez? 
         
   
        
        Un temps. 
        Parce que, à votre place, je ne 
        le croirais pas. Ce serait une grave erreur de votre part. 
   Un temps. 
        Mais Martha oui, je la suivais. Après tout, nous avons vécu dix ans 
        ensemble. 
   Un temps. 
        Mais peut-être que j'exagère? Peut-être que j'en demande trop? 
        Peut-être que j'étais trop exigeant? (Un temps). C'est votre 
        avis? C'est votre opinion? 
        
          
        BERTHIER, nerveusement. 
        Je croyais que cela vous était égal. 
        
         
        
        
        
           DUBOIS 
         
        C'est Martha qui vous l'a dit ? (Berthier ne répond pas). 
        D'accord, nous avions conclu un marché. Elle, là où elle avait envie 
        d'aller, et moi au cabaret. 
   Un temps. 
        Mais vous ne pouvez pas comprendre. Martha avait besoin de liberté. 
        Et moi aussi. C'était convenu entre nous depuis le début. Chacun de son 
        côté et, à la fin, on se retrouvait. Car Martha me revenait toujours, 
        vous l'avez remarqué ? Dans notre petit nid, là-haut, dans nos plumes. 
           Berthier donne des signes de nervosité sur son 
        banc, s'agite. Dubois continue à marcher. 
        
        ça a toujours été comme 
        ça. Elle quittait au petit matin un ami de rencontre –et hop, dans mon 
        lit! 
   Un temps. 
        
         
        Je n'étais pas contre. C'est ce qui était dit. 
    Un temps. 
        Les choses ont commencé à se gâter avec vous. C'est à partir de ce 
        moment que j'ai commencé à la suivre (Un temps). Et c'est comme 
        cela que je me suis retrouvé à l'Auberge du Roy. 
   Berthier tressaille. Dubois s'en aperçoit, se retourne.  
        Je vois que je m'adresse à un connaisseur! 
   Un temps.  
        Vous avez sans doute pensé que je me suis trouvé en même temps que vous 
        et Martha dans le lupanar? (Un temps). C'est ça? 
   Un temps. 
        
         
        Mais non! Comment? Moi dans ce lieu somptueux et faisant ami-ami avec la 
        maquerelle? Vous voyez cela d'ici? Vous imaginez le tableau? 
   Un temps.  
        J'ai dit que je me suis trouvé, moi aussi, à l'Auberge du Roy. Mais 
        j'étais dehors – pendant que vous étiez dedans. (Un temps). Vous 
        me voyez dans tout ce luxe? Croyez-vous qu'on m'y aurait laissé entrer? 
        Je veux parler de la maquerelle et tout son train, naturellement. Ils 
        ont l'œil, ils savent où je vais boire. Pas chez eux. Pas gens de même 
        acabit. Encore heureux qu'ils ne m'ont pas chassé comme un vulgaire 
        mendiant quand je tournais autour de l'auberge! 
   Un temps. 
        Même vous ne m'avez 
        pas vu. Et pourtant j'étais là –sous les fenêtres. Celles du salon et 
        celles des chambres. 
   Il marche.  
        En me hissant sur la pointe des pieds, ou en grimpant, comme un chat, le 
        long d'une gouttière, j'ai tout vu. 
   Il revient. 
        Je suis sûr que vous 
        ne vous rappelez pas les gravures sur les murs des chambres (Un 
        temps). Vous ne vous les rappelez pas. (Un temps –Dégoûté). 
        Vous ne les avez même pas regardées! 
         
   Il repart.  
        Je ne comprends pas! Bon Dieu, je ne comprends pas! (Un temps. Il 
        revient vers Berthier). Quoi, qu'est-ce que je ne comprends pas? 
        Mais ce que Martha a pu trouver en vous de si intéressant! (Un 
        temps).  Les autres, 
        passe encore. Ils allaient et venaient. C'étaient des jeunes. Moi aussi, 
        j'ai été jeune. (Un temps). Mais vous! Et avec la tête que vous 
        avez! Bon Dieu! (Il se trouve face à Berthier). Vous êtes-vous 
        jamais regardé dans une glace! Vous voulez vous voir? Voulez-vous vous 
        voir, une bonne fois? 
   Il est tout près de Berthier. Il sort de sa poche un couteau dont 
        la lame brille sous les yeux de Berthier. 
        
         
     
        
        Avec violence. 
        Alors, regardez-vous ! Regardez-vous pour de bon et qu'on en finisse, 
        nom de Dieu ! 
        
        
          
        
        
          
          
        
         
        
        
        
         " La nuit, 
        Berthier, vous entendez ? " 
          
        
        
         
        
           
         
        DUBOIS 
        Je me souviens du jour où cela s'est passé. Ou bien était-ce le soir? 
        (Un temps). Oui, c'était le soir. Le début d'une longue nuit dans sa 
        résidence d'été, sa datcha, sa villa, sa bonbonnière, sa folie, comme il 
        disait. (Un temps). Il avait beaucoup d'humour. (Un temps). 
        Nous étions entre amis. 
   Un temps. 
         
        Nous étions entre amis. Quelques couples seulement. A la fin d'une 
        journée qui s'était, ma foi, très agréablement passée. Oui, très 
        agréablement passée. 
   Il boit à sa bouteille, rote, fume. Il ne se gêne pas. 
         
        Dans le parc, des palmiers que M. Voiron Jeune a fait venir des 
        tropiques. 
        
          
        
        BERTHIER 
        Ah. 
        
          
        DUBOIS, se retourne. 
        
        
         
        Vous ne le saviez pas? 
         
        
        
        
            
        BERTHIER, 
        
        
        rouge. 
        Comment le saurais-je? 
   Un temps.  
        
           
        DUBOIS 
        
        
        
        En effet. 
   Un temps. 
         
        Donc, nous étions entre amis. Oh, rien que des intimes. Des relations de 
        M. Voiron Jeune. Hommes et femmes venus de cette ville et d'autres 
        villes aussi, afin de passer un excellent week-end. La maison du 
        banquier était réputée pour cela, on en parlait à des kilomètres à la 
        ronde. Et pour en dire quoi? Du mal, le plus souvent. Mais c'étaient des 
        jaloux, ceux qui enrageaient de ne pas être invités. 
   A Berthier. 
        
         
        Cela, au moins, vous le comprenez? 
   Berthier ne répond pas. 
        
         
        Les hommes étaient en tenue de campagne. Les femmes portaient des robes 
        légères. Au milieu d'elles, Martha brillait, naturellement. (Un 
        temps). Vous ai-je dit que M. Voiron Jeune avait le béguin pour 
        elle? Oui? Remarquez, d'autres hommes aussi. (Un temps). Chacun 
        allongé sur une chaise longue, qui au bord de la piscine, qui sous la 
        charmille odorante, attendait que la nuit tombe, que le spectacle 
        commence. 
   A Berthier.  
        La nuit, Berthier, vous entendez? 
   Berthier ne répond pas. 
        
         
        A l'intérieur, la fête se préparait. J'entendais les rires qui me 
        parvenaient de la demeure vaste et fraîche, à l'abri des grandes 
        chaleurs de l'été. Toute la journée, des livreurs avaient apporté des 
        liqueurs et des mets fins, des fruits confits, des chocolats, des 
        alcools, et du champagne. (Un temps). On picorait distraitement. 
        On buvait de même. On sentait que l'heure n'était pas encore venue. 
        (Un temps). Lorsque le soleil se coucha, enfin, derrière une 
        colline, M. Voiron Jeune apparut sous la véranda, entièrement nu, et 
        tenant dans ses bras une femme nue également. (Un temps). On sut 
        que c'était le signal. Chacun ôta ses vêtements et tous se précipitèrent 
        dans les salons et les chambres, dans les différentes pièces de la vaste 
        demeure. (Un temps). On entendit, alors, une musique douce, un 
        boléro. 
   Il esquisse des pas de danse, dans un rond de lumière du 
        lampadaire. Puis, il s'arrête. Reprend.  
        A l'intérieur, on riait et on criait de plus belle. Dans toutes les 
        pièces, sur les lits et les sofas, des corps enchevêtrés. A l'extérieur, 
        dans les jardins éclairés "a giorno", un cavalier nu chevauchait une 
        jument sans voiles. 
   Il feint de chevaucher un cheval. 
        
        
         
        Hue! Hue! Ho! Hue!  
        
        
        
        
         
        
        
           
        Berthier, 
        
        malgré lui. 
        Ah! 
        
        
        
            
        DUBOIS,
        s'arrête, se retourne. 
        Oui? 
   Silence. 
        
         
   Berthier se ressaisit. 
   Dubois reprend. 
        Ainsi toute la nuit. (Un temps). 
         Toute la nuit! (Un temps). Puis le jour s'est levé. 
        C'était un dimanche. Le soir venu, Martha est rentrée en ville dans la 
        voiture de M. Voiron Jeune. Je revins dans celle d'un ami. 
   Un temps.  
        Mais quelle fête, grands dieux, quelle fête! 
   Un temps. 
        
        
         
   Vers Berthier. 
        Hé, monsieur Berthier! Vous m'entendez? Vous ne vous êtes pas évanoui, 
        j'espère? (Un temps). Allons, ce n'était qu'une vieille histoire! 
        Vous n'allez pas en faire un drame? 
   Berthier ne bouge pas. 
        
         
   Un temps. 
        
         
        
        
        
           BERTHIER,  
        
        
        rogue. 
        Allez au diable ! 
   Silence. 
        
        
        
         
   Le lampadaire s'éteint. 
        
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