L'auteur François Martinez (1932-2023) - dramaturge et romancierFrançois Martinez

roman et théâtre

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Martha (théâtre), par François Martinez, éditions Caractères

Martha
(extraits)


éditions Caractères,
collection Théâtre vivant

(1993, reédition 2004)

 

présentation de la pièce

    

 

" Les choses ont commencé à se gâter avec vous "

 

    BERTHIER
Vous nous suiviez, Martha et moi.

    DUBOIS, s'arrête, narquois.
Ai-je bien entendu? Son Altesse a daigné m'adresser la parole ? (Obséquieux). A moi, son humble vassal?
   Agacé par l'ironie de Dubois, Berthier frappe de nouveau le sol avec sa canne.

    Dubois recommence à marcher.

Je vous suivais, oui. Mais pas vous. Oh non, pas vous. Vous ne m'intéressiez pas assez. Ou croyez-vous, par hasard, que vous m'intéressiez?
  
Un temps.
Parce que, à votre place, je ne le croirais pas. Ce serait une grave erreur de votre part.
   Un temps.
Mais Martha oui, je la suivais. Après tout, nous avons vécu dix ans ensemble.
   Un temps.
Mais peut-être que j'exagère? Peut-être que j'en demande trop? Peut-être que j'étais trop exigeant? (Un temps). C'est votre avis? C'est votre opinion?

   BERTHIER, nerveusement.
Je croyais que cela vous était égal.
 

   DUBOIS
C'est Martha qui vous l'a dit ? (Berthier ne répond pas). D'accord, nous avions conclu un marché. Elle, là où elle avait envie d'aller, et moi au cabaret.

   Un temps.
Mais vous ne pouvez pas comprendre. Martha avait besoin de liberté. Et moi aussi. C'était convenu entre nous depuis le début. Chacun de son côté et, à la fin, on se retrouvait. Car Martha me revenait toujours, vous l'avez remarqué ? Dans notre petit nid, là-haut, dans nos plumes.
   Berthier donne des signes de nervosité sur son banc, s'agite. Dubois continue à marcher.
ça a toujours été comme ça. Elle quittait au petit matin un ami de rencontre –et hop, dans mon lit!

   Un temps.

Je n'étais pas contre. C'est ce qui était dit.
    Un temps.

Les choses ont commencé à se gâter avec vous. C'est à partir de ce moment que j'ai commencé à la suivre (Un temps). Et c'est comme cela que je me suis retrouvé à l'Auberge du Roy.
   Berthier tressaille. Dubois s'en aperçoit, se retourne.

Je vois que je m'adresse à un connaisseur!
   Un temps.

Vous avez sans doute pensé que je me suis trouvé en même temps que vous et Martha dans le lupanar? (Un temps). C'est ça?

   Un temps.

Mais non! Comment? Moi dans ce lieu somptueux et faisant ami-ami avec la maquerelle? Vous voyez cela d'ici? Vous imaginez le tableau?
   Un temps.

J'ai dit que je me suis trouvé, moi aussi, à l'Auberge du Roy. Mais j'étais dehors – pendant que vous étiez dedans. (Un temps). Vous me voyez dans tout ce luxe? Croyez-vous qu'on m'y aurait laissé entrer? Je veux parler de la maquerelle et tout son train, naturellement. Ils ont l'œil, ils savent où je vais boire. Pas chez eux. Pas gens de même acabit. Encore heureux qu'ils ne m'ont pas chassé comme un vulgaire mendiant quand je tournais autour de l'auberge!
   Un temps.
Même vous ne m'avez pas vu. Et pourtant j'étais là –sous les fenêtres. Celles du salon et celles des chambres.
   Il marche.

En me hissant sur la pointe des pieds, ou en grimpant, comme un chat, le long d'une gouttière, j'ai tout vu.
   Il revient.
Je suis sûr que vous ne vous rappelez pas les gravures sur les murs des chambres (Un temps). Vous ne vous les rappelez pas. (Un temps –Dégoûté). Vous ne les avez même pas regardées!
   Il repart.

Je ne comprends pas! Bon Dieu, je ne comprends pas! (Un temps. Il revient vers Berthier). Quoi, qu'est-ce que je ne comprends pas? Mais ce que Martha a pu trouver en vous de si intéressant! (Un temps).  Les autres, passe encore. Ils allaient et venaient. C'étaient des jeunes. Moi aussi, j'ai été jeune. (Un temps). Mais vous! Et avec la tête que vous avez! Bon Dieu! (Il se trouve face à Berthier). Vous êtes-vous jamais regardé dans une glace! Vous voulez vous voir? Voulez-vous vous voir, une bonne fois?
   Il est tout près de Berthier. Il sort de sa poche un couteau dont la lame brille sous les yeux de Berthier.

    
Avec violence.

Alors, regardez-vous ! Regardez-vous pour de bon et qu'on en finisse, nom de Dieu !

 

 

 " La nuit, Berthier, vous entendez ? "  

    DUBOIS
Je me souviens du jour où cela s'est passé. Ou bien était-ce le soir? (Un temps). Oui, c'était le soir. Le début d'une longue nuit dans sa résidence d'été, sa datcha, sa villa, sa bonbonnière, sa folie, comme il disait. (Un temps). Il avait beaucoup d'humour. (Un temps). Nous étions entre amis.
   Un temps.

Nous étions entre amis. Quelques couples seulement. A la fin d'une journée qui s'était, ma foi, très agréablement passée. Oui, très agréablement passée.
   Il boit à sa bouteille, rote, fume. Il ne se gêne pas.

Dans le parc, des palmiers que M. Voiron Jeune a fait venir des tropiques.

   BERTHIER
Ah.

   DUBOIS, se retourne.
Vous ne le saviez pas?

    BERTHIER, rouge.
Comment le saurais-je?
   Un temps.

    DUBOIS
En effet.
   Un temps.

Donc, nous étions entre amis. Oh, rien que des intimes. Des relations de M. Voiron Jeune. Hommes et femmes venus de cette ville et d'autres villes aussi, afin de passer un excellent week-end. La maison du banquier était réputée pour cela, on en parlait à des kilomètres à la ronde. Et pour en dire quoi? Du mal, le plus souvent. Mais c'étaient des jaloux, ceux qui enrageaient de ne pas être invités.

   A Berthier.

Cela, au moins, vous le comprenez?

   Berthier ne répond pas.

Les hommes étaient en tenue de campagne. Les femmes portaient des robes légères. Au milieu d'elles, Martha brillait, naturellement. (Un temps). Vous ai-je dit que M. Voiron Jeune avait le béguin pour elle? Oui? Remarquez, d'autres hommes aussi. (Un temps). Chacun allongé sur une chaise longue, qui au bord de la piscine, qui sous la charmille odorante, attendait que la nuit tombe, que le spectacle commence.

   A Berthier.

La nuit, Berthier, vous entendez?
   Berthier ne répond pas.

A l'intérieur, la fête se préparait. J'entendais les rires qui me parvenaient de la demeure vaste et fraîche, à l'abri des grandes chaleurs de l'été. Toute la journée, des livreurs avaient apporté des liqueurs et des mets fins, des fruits confits, des chocolats, des alcools, et du champagne. (Un temps). On picorait distraitement. On buvait de même. On sentait que l'heure n'était pas encore venue. (Un temps). Lorsque le soleil se coucha, enfin, derrière une colline, M. Voiron Jeune apparut sous la véranda, entièrement nu, et tenant dans ses bras une femme nue également. (Un temps). On sut que c'était le signal. Chacun ôta ses vêtements et tous se précipitèrent dans les salons et les chambres, dans les différentes pièces de la vaste demeure. (Un temps). On entendit, alors, une musique douce, un boléro.

   Il esquisse des pas de danse, dans un rond de lumière du lampadaire. Puis, il s'arrête. Reprend.

A l'intérieur, on riait et on criait de plus belle. Dans toutes les pièces, sur les lits et les sofas, des corps enchevêtrés. A l'extérieur, dans les jardins éclairés "a giorno", un cavalier nu chevauchait une jument sans voiles.
   Il feint de chevaucher un cheval.

Hue! Hue! Ho! Hue!

   Berthier, malgré lui.
Ah!

    DUBOIS, s'arrête, se retourne.
Oui?
   Silence.

   Berthier se ressaisit.
   Dubois reprend.

Ainsi toute la nuit. (Un temps).  Toute la nuit! (Un temps). Puis le jour s'est levé. C'était un dimanche. Le soir venu, Martha est rentrée en ville dans la voiture de M. Voiron Jeune. Je revins dans celle d'un ami.

   Un temps.

Mais quelle fête, grands dieux, quelle fête!
   Un temps.

   Vers Berthier.

Hé, monsieur Berthier! Vous m'entendez? Vous ne vous êtes pas évanoui, j'espère? (Un temps). Allons, ce n'était qu'une vieille histoire! Vous n'allez pas en faire un drame?

   Berthier ne bouge pas.

   Un temps.
 

   BERTHIER, rogue.
Allez au diable !
   Silence.

   Le lampadaire s'éteint.
 

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