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Rentrée littéraire :
comment rater sa sortie
(les dédicaces dangereuses)

 

Comment rater le lancement d'un livre ? Grâce à Nouvelles à ne pas y croire, je peux apporter mon expérience aux auteurs qui craignent de rencontrer un quelconque succès, même d'estime, lors de la rentrée littéraire.

Les statistiques le prouvent : il faut jouer de malchance pour être banni du douillet anonymat. Mais on n'est jamais à l'abri d'un coup de chance. J'ai donc pris mes précautions : recueil de nouvelles, histoires apparemment absurdes, éditeur en province. Je pense toutefois m'être distingué dans un domaine : les dédicaces.

Une fois votre livre imprimé, votre éditeur non seulement veut qu'il se vende (quelle drôle d'idée !), mais encore croit que c'est possible. Aussi adresse-t-il des "services de presse" aux chroniqueurs en vue, et souvent même aux aveugles. Et il vous demande de rédiger pour chacun un petit mot  une dédicace. Angoisse et putréfaction... Qu’écrire à Jérôme Garcin, Frédéric Beigbeder ou Pierre Assouline, qui reçoivent plus de bouquins par jour que vous n'espérez en écrire dans votre vie ? "En vous souhaitant bonne lecture" ? Plutôt finir démarcheur de Kindle à domicile !

Voici un florilège de mes hara-kiri. Je ne sais plus qui a reçu quoi. Mais la non-réaction de ceux qui les ont reçus a été quasi unanime.

 

Croyez bien que je comprends l’émotion qui vous étreint au moment où vous trouvez cet ouvrage dans votre courrier, bien que celle-ci soit due pour l’essentiel à la carte vous annonçant le décès de votre cher ami M.A.

 Vous n'en avez pas assez de recevoir des dédicaces d'auteurs intéressés par le seul fait qu'ils ne vous connaissent pas ? J'en ai déjà assez d'en écrire. Vous voyez : nous avons déjà trouvé un terrain d'entente !

 Auteur inconnu : comme le soldat, mais en moins mort. Enfin, si vous n’attendez pas trop.

 Ce court message pour faite taire une rumeur persistante : Nouvelles à ne pas y croire ne s'adresse pas aux imbéciles heureux. À tout le moins, pas seulement à eux. Vous remerciant de contribuer à étouffer ces ragots indignes…

 Affligé de nombreuses tares tant physiques qu'intellectuelles, je suis certain que vous apprécierez que je vous adresse cet ouvrage au lieu de chercher à vous rencontrer par tous les moyens.

 Les recueils de nouvelles, c’est comme les tentatives de suicide : il faudrait être dans la tête de leur auteur pour savoir ce qui les a poussés à une telle extrémité.

 Je vous saurais gré de me faire savoir dans de brefs délais quelle dédicace vous souhaiteriez trouver avec cet ouvrage et, surtout, signée de quel patronyme célèbre.

 Je vous saurais gré de me faire savoir dans de brefs délais quelle dédicace vous souhaiteriez trouver dans cet ouvrage et, surtout, de quel montant.

 Souffrant à l’idée que cette dédicace pourrait ne pas vous plaire et que vous omettiez de mentionner la qualité du carton qui lui sert de support dans l’une de vos prochaines chroniques, je me permets d’y joindre, afin de me faire pardonner par avance, cet ouvrage dont l’imprimeur de la carte m’a dit le plus grand bien.

 Je peux vous certifier que ces textes n’ont pas été écrits avec les pieds : on m’a amputé de ceux-ci dès l’enfance. La tête ayant subi peu après le même sort à la suite de l’accident qui m’a coûté mon bras droit, j’ai le plaisir d’utiliser la main qui me reste pour vous dédicacer cet ouvrage avec toute l’empathie que me permet mon cœur artificiel.

 Votre courrier fourmille de tant de cartes de ce genre, envoyées par tant d’auteurs médiocres, que je me demande s’il est bien raisonnable de s’adresser à quelqu’un multipliant à ce point les mauvaises fréquentations.

Et ma préférée…

Ayant appris avec stupeur de la bouche de votre médecin, un mien ami, la grave maladie à l’issue, disons, sans issue, dont vous êtes frappé, je vous adresse tout à la fois cet ouvrage, mes vœux de bonne année et mes condoléances attristées.
PS : si vous pouviez faire vite

… mais j’avoue que je n’ai pas osé l’utiliser !

Fabien Maréchal - recueil de nouvelles